Je viens d’enterrer ma mère. Ce que son départ fait naître en moi est encore indicible. Elle avait quatre-vingt dix-neuf ans. Elle est partie sans souffrance, dans la paix. Malgré son grand âge, elle était d’une étonnante vitalité et la cérémonie dans sa paroisse fut paradoxalement nourrie d’une grande joie. Le soir, au repas, mes amis incroyants, m’interpellent : l’enfer, le paradis, la vie après la mort… tu y crois à ces histoires, espèce de pomme ?
Me revint alors cette fable chinoise que, petit, elle me racontait : des hommes et des femmes assis en rond autour d’un grand tas de riz et munis chacun de baguettes longues de deux mètres. On a faim. Chacun essaye de prendre une bouchée avec ses baguettes. Mais ça coince. Ça n’arrive pas à la bouche. Chacun pour soi, c’est ça l’enfer.
Le paradis ? Les mêmes, avec les mêmes baguettes, le même tas de riz. La même faim. Mais l’un des convives a cette idée géniale de diriger ses baguettes vers un autre. Lequel alors, les tend vers son voisin…
L’enfer ou le paradis : une promesse post mortem ? Des enfers, des petits paradis, n’est-ce pas plutôt de notre ressort, ici et maintenant ? Ces mêmes amis incroyants m’avouèrent combien ils avaient été à la fois bousculés et apaisés par cette cérémonie qui avait su cristalliser une longue et belle vie d’amour, d’énergie, de partage.
J’ose croire que c’est cet amour de la vie, avec ces petits instants de paradis en partage qui, ce jour-là, est passé dans le cœur des vivants.
Laurent Seyral
Billet du dimanche 24 janvier 2016